Elle
Édition : Menaibuc
ISBN : 978-2-35349-256-5
Format du livre : 14 cm*21 cm
Poid : 280g
EAN : 978-2-35349-256-5
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« C’est
un livre qui échappe. C’est pourquoi on le relit. »
Hubert Juin dans Les Lettres françaises
Ceci
n’est pas une préface comme la Pipe de Magritte n’en est pas une. J’y
reviendrai...
Mais
retenez bien ce nom. Fatou Sy Savané ! Son texte Elle tombe comme un aérolithe dans un champ de mil au milieu de la
production foisonnante et si moutonnante des nouvelles écritures dramatiques
africaines prises par une palilalie thématique qui tourne autour de la mal
gouvernance et de l’immigration comme si en dehors de ces deux sujets, point de
salut. Et surtout par une écriture qui à force de se vouloir innovante devient
uniforme chez tous. A vouloir se faire éditer par Lansmann en France ou d’être
joués à Limoges, le théâtre contemporain est devenu une pâle copie de lui-même,
une fabrique de l’identique.
Revenons
à notre propos sur ce texte qui se refuse d’être une préface. L’auteure avait
manifesté le désir que j’en fisse une pour ce texte. J’ai répondu que ce serait
un plaisir si le texte me parle. On n’écrit pas un texte sur un objet muet car
un texte qui n’interpelle pas est un cadavre, il a besoin d’une
nécrologie ; une préface est un faire-part de naissance, elle n’a de sens
que lorsque le texte vagit, gigote, que son babil charme. Malheureusement ce
texte ne me prit pas au collet et ne m’intima pas l’ordre de parler de
lui. Et plusieurs mois ont passé. Et
puis, l’auteure m’a relancé il y a quelques jours. Et j’ai relu le texte. Son sens m’ait apparu dans toute sa clarté et
son importance s’est imposée.
Il
en va de ce texte comme de ces morceaux de rocher qu’on confie, dans certaine
tribu, aux enfants en leur disant que ces pierres leur parleront. Et chaque
fois, l’enfant prend le minéral entre ses mains, le porte à son oreille en le
collant contre sa joue ou le pose sous les yeux et attend le murmure de la
roche. Mais celle-ci reste muette. Le silence peut durer une éternité ou courir
sur des années et puis un jour, le miracle advient : la pierre s’ouvre à
l’enfant devenu adulte et lui entend sa voix minérale lui parler et le guider
dans sa vie d’adulte, c’est la voix du destin. Pierre de patience. Puissance de
l’imagination. Ce texte-ci a le silence de ces blocs de pierre.
Elle
ne m’avait pas parlé, cette pièce dramatique parce que je la lisais avec des
œillères de l’étudiant en Lettres Modernes et du critique de théâtre qui appose
une grille sur un texte pour en mesure la qualité en rapport à son ajustement à
la grille. Ainsi étalée sur le lit de Procuste, tout dépasse et je suis resté
perplexe.
Mais
c’est cela la création, déborder le cadre, éclater les carcans, écarteler les
barreaux pour aller dans de nouvelles directions.
A
frayer avec les écrivains, on découvre qu’il y en a de deux sortes. Les uns flairent
l’air du temps, qui inscrivent leurs écrits dans l’attendu de la critique et du
public, et qui sont rassurants car leurs textes sont en phase avec les critères
énoncés par les spécialistes et ânonner par le public. Et les autres qui
suivent leur inclination, qui écrivent selon leur bon vouloir et sans tenir
compte des attentes.
Si
les premiers sont plus rassurants, les seconds sont plus intéressants car leurs
livres bougent les lignes, amènent la sédition dans l’établi. Comme la chute
d’un caillou, il provoque les vaguelettes dans le plan calme du lac des
conventions.
On
connait le vers de René Char dansFureur et Mystère (1948) : « Ce
qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni
patience. » Si cela est admis, alors ce texte dramatique mérite
doublement d’advenir. D’abord c’est une voix de femme et, les dramaturges
africaines étant aussi rares que le cheveu sur la tonsure d’un moine, et leur
voix si atone que la naissance d’une plume féminine est à saluer bien bas.
EnsuiteElle est une pièce inattendue, une
comédie qui démarre comme une tragédie et se révèle à la fin une sorte de
manifeste d’une nouvelle génération d’Africaines qui veulent avoir un pied dans
la modernité sans rien perdre des valeurs du passé qui leur semblent
importantes. Ce personnage a 40 ans, cadre de banque, célibataire, autonome et
vierge refuse d’avoir une relation avec un homme plus jeune qu’elle. Elle est
une femme qui marche, dont le pied prend contact avec la terre ferme et qui va
vers l’avant. Son monologue instruit le procès de la condition féminine, toutes
les valeurs passent au trébuchet pour en évaluer la pertinence ou l’utilité.
Qu’est-ce qu’un corps de femme ? Qu’est-ce qu’un cœur de femme ?
Qu’est-ce qu’être femme ? Itérative question qui traverse les siècles et
dont les réponses prennent la couleur de l’époque.
Fatou
Sy Savané est une amazone du théâtre. Elle bande son arc de mots pour tirer sur
ce théâtre africain contemporain qui dépérit à force de se nourrir du même.
Mais sa flèche loin de l’achever lui injecte plutôt du sang neuf, du nouveau.
Par conséquent, il serait dommage de considérer son texte comme des jérémiades
d’un personnage de vieille fille, des pleurnicheries de bonne femme. Sous ce
bavardage couve le brandon qui enflamme les clichés sur la femme moderne. Et le
comique ici n’est que le masque de la gravité. Et c’est connu aussi que la
profondeur se trouve à la surface des choses. Un tel texte n’a pas besoin de
préface, il tient bien sur ces jambes et n’a pas besoin de béquilles pour aller
au lecteur.
Ce
texte de Fatou Sy Savané, même s’il restait le seul de cette auteure, par sa
simplicité et son étrangeté inscrirait définitivement son sillage dans le ciel
de notre théâtre. Mais il n’y a pas de doute que ce texte soit le premier d’une
longue bibliographie. Car cette voix-là n’est pas de celle que l’on réduit au
silence….
Saïdou Alcény
BARRY
Critique de
Presse
Ouagadougou,
Burkina-Faso